Pour sa première exposition monographique à Paris à la galerie Isabelle Gounod, « Royal Stanza », Luke Heng, né à Singapour en 1987, s’engage dans un processus cognitif, négociant et affrontant la peinture comme sujet en soi : ici, la couleur et la ligne en constituent le titre intriguant.
Luke Heng conçoit l’environnement par son influence subtile sur les couleurs, les surfaces et les formes. Il cherche à trouver un équilibre entre le « je » et la nature ; entre la conscience du peintre et le hasard. Sa toile devient aussi le lieu de rencontre entre le souffle de l’artiste et son environnement. Il les conçoit ainsi in situ. Si Luke dans sa jeunesse passée dans une herboristerie médicinale chinoise, s‘est d’abord inspiré de cette pharmacologie traditionnelle, tant dans sa philosophie de recherche d’harmonie que pour ces procédés d’extraction et de composition ; il se détache petit à petit des motifs pour expérimenter les qualités purement formelles de la peinture.
Il continue de créer ses propres couleurs à partir de pigments. Sa manière de procéder est répétitive et prend du temps, se rapprochant ainsi de mouvements rituels et méditatifs. Il superpose les couches à l’aide d’un grattoir (scraper), parfois jusqu’à plus d’une dizaine, une vingtaine notamment pour les blancs, chacune procédant d’une réaction à la précédente. Entre chacune, s’étire le temps du séchage de la peinture à l’huile mais aussi un temps de latence nécessaire à l’artiste non pas pour élaborer une stratégie mais pour laisser le hasard faire œuvre aussi ou prendre le risque de contrôler, notamment les coulures. C’est donc une lutte avec la toile à laquelle se livre l’artiste, contrastant avec l’impression de sérénité dégagée par ses tableaux.
Ce va-et-vient entre latence et surgissement, apparition et silence est me semble-t-il le mouvement primordial et constitutif de tout le travail de Luke Heng. Il nous donne ainsi à expérimenter ses toiles comme des lieux transitoires, espaces de méditation physique et mental d’une grande liberté.
Valentine Meyer, 2016