Les paysages de Raphaëlle Bertran invitent à faire un pas en arrière. Il est nécessaire de reculer à une distance suffisante, comme le font quelques peintres au travail afin de saisir l’ensemble de la toile. Ceci n’est pas dû seulement au grand format de certaines de ses peintures de la série Soleils. On doit s’éloigner aussi pour saisir l’ensemble des paysages dont l’horizon est situé très haut. Chaque peinture semble une partie d’un même territoire large, sombre, brumeux et ponctué de zones escarpées ou d’astres dont la lumière menace de disparaitre. On est attirés par les détails. Il faut alors s’approcher afin de saisir les scènes éparses dans ce vaste pays :
Des chiens de chasse entourant une proie, des rats qui dansent en rond comme en bacchanale, un torero en pleine corrida, une silhouette au loin, presque évanouie, sortie de L’Âge d’or de Cranach. Des chevaux westerns en fuite, des incendies, une baigneuse, des villages perchés sur des rochers, des batailles. Un cercueil, la silhouette d’un corps gisant au sol comme le premier raccourci de Paolo Uccello, un détail d’une estampe érotique japonaise, une vieille église et des corbeaux qui survolent cet archipel baigné dans une mer obscure qui nous renvoie hors du temps. 


Cette série est habitée par des êtres et des scènes inachevés. Leurs contours restent à moitié peints, ce qui augmente l’effet de vision incomplète dans un paysage brumeux et active aussi l’esprit qui s’obstine à relier les points et à remplir le vide.


Les déserts sombres s’étendent dans la continuité de cette série volontairement hermétique qui rappelle le romantisme noir de Goya ou Victor Hugo. Ces déserts apocalyptiques se dressent comme un archipel d’images nourries de nombreuses références provenant de la littérature, du cinéma, de la philosophie des pulsions et du tragique (Nietzche, Bataille ou Blanchot) ainsi que de l’iconographie du supplice, du martyre et des passions exacerbées. 

Raphaëlle Bertran se sert de la peinture à l’huile et à la bombe et de pochoirs pour composer ses paysages directement sur la toile, sans dessin préalable. Les îlots à des échelles et dimensions variables sont parsemés sur un fond obscur et ne répondent pas à un seul point de fuite. Ces grands écarts confèrent à l’ensemble un caractère onirique. 


Dans une atmosphère similaire à celle que Mary Shelley crée pour accueillir Frankenstein, on retrouve face aux peintures de Raphaëlle Bertran une sensation de désarroi et d’abandon produite par la multiplicité de fragments reliés et en même temps éloignés par une mer de brume.


Ananay ARANGO & Anastasia Krizanovska, décembre 2022.

array(1) { ["transform"]=> array(2) { ["fit"]=> array(2) { [0]=> int(1920) [1]=> int(1080) } ["compress"]=> int(100) } }