Le dernier rivage
“ Between the eyes of love, I call your name
Behind the guarded walls I used to go
Upon a summer wind, there’s a certain melody
Takes me back to the place that I know
On the beach ”
Chris Rea (1)
Le dernier rivage. J’ai relu le livre de Nevil Shute (2) récemment. Je ne sais plus si c’était au début de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes ou dans le souvenir de la pandémie de la Covid et des confinements. Peut-être était-ce sous le choc d’une autre menace géopolitique ou intime ? L’époque ne manque pas d’insinuations et toutes finissent par nourrir le même malaise. Le dérèglement climatique comme la chute de la biodiversité alimentent des sentiments semblables à ceux qui naissent dans l’espace qui sépare la zébrure d’un éclair et le choc de la foudre qui ébranle le sol, dans le temps de la chute. En tout cas, le lisant, je tombais dans le vertige d’une fiction synchrone au réel dans lequel j’étais pris. J’y déchiffrais ma propre histoire, le journal de notre propre et lent fade out.
Je me répétais les vers des Illuminations (3) tant de fois recopiés : « Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »
Les ombres gagnent mais la saison est douce encore. Le temps qui reste a une saveur spéciale, pareille à la fin de l’été. Les astres éteints persistent à briller dans la nuit le temps que leurs dernières lueurs nous parviennent. Le beau est toujours terrible. Est-ce pour cela que les rivages, les quais, les cartes postales, l’horizon ont un tel pouvoir suggestif ? Ils introduisent au tragique et à l’amour, à l’intime et à l’exil d’un seul geste. Le moment vécu a la valeur d’un souvenir. On le sait sans le savoir et la beauté alors nous tire des larmes.
“ En cet ultime lieu de rencontre
Nous tâtonnons ensemble
Et évitons de parler
Regroupés sur ce rivage ”
T.S.Eliot (4)
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1. Extrait des paroles de la chanson On the Beach, par Chris Rea, 1986.
2. Nevil Shute, Le dernier rivage, 1957.
3. Extrait de “Enfance IV”, in Les illuminations, 1873-1875.
4. Extrait de : Thomas Stearns Eliot, Les Hommes creux (Titre original : The Hollow Men, 1925)