CENT SOLEILS



“Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement”
Les Maximes, François de la Rochefoucauld



Le regard se perd entre les deux soleils que Raphaelle Bertran Pinheiro reprend d’une toile à l’autre. Ce phénomène optique connu sous le nom de parhélie a pu avoir dans certaines cultures valeurs de présage ; il est ici à côté de l’éclipse, une manifestation de l’aveuglement parmi d’autres. Si l’on peut deviner des paysages dans les strates de peinture, le sommet d’une montagne, la souche d’un arbre mort ou quelques herbes hautes, aucun effet de perspective ne creuse l’image. L’artiste travaille bien plutôt la superposition entre cette toile de fond et des réminiscences de peintures dans des ténèbres qui font penser à ceux de Bosch. L’écart entre une figure centrale, cet homme qui tombe dans La Chute, cet autre qui se bat dans All work and no play makes Jack a dull boy, et divers éléments en miniature évoque celui qui existe entre les protagonistes et le chœur dans la tragédie antique. Les peintures de Raphaelle Bertran Pinheiro sont sans issues mais lorsque l’on observe en détail ces miniatures, on reconnaît aussi bien des personnages de scènes villageoises de la peinture flamande qu’un cheval du XIXème siècle de Géricault. La chute d’Icare peinte par Brueghel, passait inaperçue derrière les travaux des laboureurs, ici toute tentative d’identifier un personnage ou une morale se heurte à un champ de ruine. Entre les tombes, le paysage ne semble être que l’écho d’un monde instable.

Par sa technique mixte d’huile et de peinture à l’aérosol, l’artiste s’autorise les essais à même la toile et par le prétexte d’un repeint fait surgir des brumes. Travaillant sans dessin préparatoire, elle avance ainsi par tâtonnements et fait surgir autour de ses figures des halos de lumières qui sont autant d’effacements successifs, les traces du tableau en train de se faire. On pourrait croire à une persistance rétinienne, celle du romantisme et de ses paysages aussi désolés que sublime, à des hallucinations, celles du décadentisme de la fin du XIXème mais le travail savant de palimpseste auquel se livre l’artiste traite avant tout d’un rapport contemporain aux images comme signes susceptibles de circulation, de transfert. Dans ses différentes toiles des croix mais aussi des animaux psychopompes, des chiens, des corbeaux et même des chevaux dessinent la possibilité d’un au-delà.

Face à l’impossibilité de fixer la mort ou le soleil... Les peintures de Raphaëlle Bertran Pinheiro nous entraînent vers un univers métaphysique, de détours en éblouissements.

Henri GUETTE, mars 2023

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