Maude MARIS
Les grands profils


Maude Maris peint le volume des images. Elle dérange aujourd’hui les curseurs de son système de représentation en considérant de plus près encore, la majesté de la sculpture. Sa nouvelle série de peintures invoque ainsi quatre maîtres ayant contribué à la modernité du genre, depuis l’intimité de leur espace de travail. Tous confessent un usage de la photographie comme révélateur de leurs œuvres.


Auguste Rodin aimait faire visiter sa collection d’antiques à la bougie. L’éclairage théâtral laissait naître successivement toutes les formes du marbre, vivifiées par la lueur chancelante de la flamme et par la marche de l’éclaireur. C’est par ce double truchement lumineux, que les chefs-d’œuvre surgissaient, blanc sur noir, pierre sur nuit.

Maude Maris saisit cette pleine compréhension des formes, par une facture d’une rugosité nouvelle. Toute la minéralité chère à notre peintre résonne avec le procédé-même du développement argentique des tirages anciens, et autres alchimies de lumière. En son laboratoire, elle génère des émulsions rêches, recalibrant son habituelle résolution.           

Antoine Bourdelle a concentré sur son Monument de Montauban, l’essentiel de ses recherches iconographiques. Ses sept cents clichés sont autant de plans pour mieux manifester l’illusion du mouvement, folioscope qui excite notre persistance rétinienne. Familier des théories du cinématographe, l’artiste offre à son monolithe, une continuité narrative.

Maude Maris, par cette triangulation entre les médiums, désamorce la position frontale imposée à toute toile. Le point de vue unique s’enrichit du feuilleté de ses sujets, peintures de photographies de sculptures de sculpteurs photographiant. Les filtres évitent l’exhibition de ce qui est en jeu au sein de l’atelier. Ces secrets intriguent justement notre observatrice, obscénité de la pénétration des choses ou de leur accouchement.      

Constantin Brancusi a accompli son appétit d’infini par le film, hors des contingences des matériaux et de leur pesanteur. L’invention promettait à sa Colonne sans fin une perspective inouïe grâce aux métrages de la pellicule et à la magie du reste. Érection dans l’objectif, le visionnaire imprima sur la surface gélatineuse, l’image de motifs décuplés en une verticalité jamais atteinte jusqu’alors.

Maude Maris reste attentive à ces endroits, ces moments, où tout ne tient pas encore. Si elle furette dans les coulisses des Grands, c’est qu’elle y trouve la figure d’une vulnérabilité, le risque d’une stature précaire, et toutes ces astuces pour en préserver la tenue. Étais, béquilles et échafaudages forment une enveloppe graphique rassurant les masses. Le monde a un poids. Le voici portraituré avec pour fond, la clarté du plâtre ou l’obscurité de fresques éteintes.   

Henry Moore exploite la photographie avec discrétion, outil pour caler l’échelle de ses odalisques. Par des montages, il ajuste leur rapport au paysage. Ces collages lui ont prodigué un recul efficace, quand son corps-à-corps avec la matière ne suffisait plus. Entre miniature et monumental, il s’agit de reformater un juste équilibre.   

Maude Maris aligne ici en un sobre accrochage, une dizaine de rectangles. Chacun d’entre eux nous emporte pourtant au cœur de leur superficie. Ainsi, le profil contrairement à la face, statique, invite au contournement. Cela réclame un pas de côté, un magnétisme de la périphérie. Dans l’optique d’une volupté à embrasser, ça tourne.


Joël Riff
Commissaire à Moly-Sabata et rédacteur de la chronique Curiosité
Juin 2017

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