« Tous ceux qui ont continué à courir », c’est l’histoire d’une nuit sombre dans une station balnéaire, une soirée peuplée de corps anonymes dont il ne reste que des fragments. Lenny Rébéré déroule ce scénario au travers d’œuvres qui sont autant de bribes d’une déambulation nocturne oscillant entre liesse et angoisse.

Tout commence en bord de mer. Des individus sans individualité, agrégats de pixels, nagent, jouent, se promènent. Les corps se dissolvent progressivement et se mêlent aux vagues, devenues nuées. Catastrophe (sur)naturelle ou glitch dans la matrice ? Cette scène a été capturée par l’œil voyeur de caméras de vidéosurveillance dont le streaming live est à portée de connexion internet. Encapsulée et immergée dans un liquide huileux, elle semble n’être plus qu’un souvenir flou figé dans du formol.

Mettons nos prothèses numériques de côté et mêlons-nous à la fête, un verre à la main. L’ambiance moite des soirées d’étés où l’orage point après une journée caniculaire se fait sentir. Des corps présents, il ne reste que des parcelles toutes parcourues d’une perturbation rampante qui les distord ou les morcèle.

Des grands formats composés de verre sablé – première itération de cette technique dans le travail de l’artiste – et encré de présences spectrales révèlent à l’arrière-plan de mystérieuses peintures dans les interstices de lumière où la pénombre de l’encre ne s’est pas immiscée. Par un montage offline d’images nées ou trouvées online, Lenny Rébéré réalise un morphing analogique qui provoque d’inquiétantes déformations dans les corps, auquel vient se mêler in situ notre propre réflexion.

La fête se poursuit et nous scrollons parmi les nuques, les dos et les mains pour certains agressivement traversés de métal. Selon l’artiste, ces percées, par leurs courbes sinueuses, rendent un peu de leur organicité à ces bouts de corps autant qu’elles expriment l’impossibilité pour un cadre orthonormé de contenir ces images.

Dans les instantanés de cette soirée cohabitent un temps court et un temps long : celui d’une nuit et celui de la libre circulation généralisée et du flux permanent d’images de la vie quotidienne où le banal, l’absurde, l’historique et l’explicite se côtoient.

Comme dans L’homme-boîte de Kôbô Abé, il y a « tous ceux qui ont continué à courir », cédant à la liquidité de notre société[1]. Le personnage principal du roman les observe via une fente dans la boîte dont il a recouvert le haut de son corps pour se protéger d’un monde qui va trop vite tandis que nous rejoignons la course effrénée en les scrutant à travers nos écrans. Certains s’accordent un pas de côté, préférant la liquidité des océans et la cajolerie d’une douce ivresse. C’est là qu’essaye de nous emmener Lenny Rébéré, au moins le temps d’un bain de minuit.


 


Romy HAMMOND






[1] La notion de société liquide, forgée par le sociologue Zygmunt Bauman, désigne nos sociétés contemporaines qui possèdent un cadre en changement permanent et se caractérisent par la (sur)consommation et une hyperflexibilité des rapports sociaux.



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