Catherine Melin investit à nouveau l’espace de la galerie dans sa globalité par un dispositif associant des dessins sur papier, des dessins muraux, des vidéos, des structures tridimensionnelles qui redessinent le parcours du visiteur.


L’exposition n’est donc pas simplement l’occasion de présenter un ensemble d’œuvres, mais est envisagée comme une occasion — le lieu et le moment d’un déploiement, de l’articulation d’un espace physique et mental dans lequel les déplacements du spectateur génèrent correspondances et désynchronisations, télescopages et ruptures, glissements de point de vue et perspectives impossibles.


Les questions du geste et de « l’habiter » sont encore approfondies en 2012-2013 dans le cadre de résidences et d’une exposition à Chengdu, métropole de la province chinoise du Sichuan. L’artiste s’attache alors davantage à saisir comment les comportements humains prennent place dans les interstices d’une ville dense en plein développement. Elle focalise son attention, dans ces espaces « en transit », sur la présence, les postures et les gestes des corps au travail : les gestes des ouvriers du bâtiment, des employés dans les ateliers artisanaux, de ceux qui, nombreux, exécutent des « petits métiers » leur assurant une maigre subsistance.


 


L’approche de Catherine Melin est cependant moins anthropologique qu’elle ne témoigne d’un regard pour ainsi dire chorégraphique en filmant les gestes des ramasseurs de gravats sur un chantier. En l’absence d’outil et en les vidant ainsi de leur fonction initiale, elle n’en conserve que la tension et le rythme souvent répétitif. Ce que les vidéos pointent aussi, en filigrane, c’est que ces ouvriers exécutent des gestes qui ne sont pas les leurs : comme ailleurs en Chine, ce sont en réalité des mingongs, ces paysans pauvres venus trouver ici les moyens de subsister pour un temps, et qui bâtissent une ville qu’il leur est interdit d’habiter. À travers ces activités improductives, ce sont des corps qui, saisis dans des contextes qui les contiennent autant qu’ils les excluent, se meuvent et tentent de préserver un espace de liberté.


 


L’œuvre de Catherine Melin pointe aussi, précisément, ce qui fait défaut à ces ambitieux programmes de restructuration et qui est en jeu dans ce que Jean-Christophe Bailly appelle fonction urbaine :« partout où zonage et compartimentation n’ont pas triomphé, une vie est maintenue, et cette vie, à la résistance mystérieuse, ce sont avant tout des accroches, de petits points de flux, de rassemblement, des points qui relient. Relier et assembler, et le faire de façon disparate, c’est là l’être même de ce qu’il faudrait appeler la fonction urbaine — une fonction qui est autonome et qui est supérieure à toutes les fonctions qu’elle brasse, une sorte d’hyperfonction complexe et unifiante, qui attache noyau et particules comme une attraction ». *


 


Catherine Melin suggère de s’interroger encore sur les tentatives des travailleurs d’immiscer, au cœur du travail et malgré sa dimension profondément aliénante, des poches de résistance, souvent fragiles mais bien réelles — d’insuffler là aussi une respiration, de produire « du jeu ».


C’est dans ce jeu, cet écart, cet interstice, c’est dans cet espace de battement que s’ancre le travail de Catherine Melin. Une manière de voir, ou mieux : en le traversant, d’habiter le monde.


 


Cédric Loire


« Une traversée »,  Extraits in catalogue « Catherine Melin, Point d’appui » Jean-Christophe Bailly, Cédric Loire, Analogues 2013.


 


* Jean-Christophe Bailly, « Fins des dortoirs », in La phrase urbaine, Collection Fiction & Cie, Seuil, Paris 2013 (p.128).


 


Signatures :   Librairie du Palais de Tokyo, le jeudi 6 mars 2014 à partir de 18h30 en présence des auteurs, Jean-Christophe Bailly et Cédric Loire.


Nocturne du Salon Dawing Now 2014, le vendredi 28 mars à partir de 19h au Carreau du Temple, Paris.


 


 


http://www.analogues.fr/?p=4505


http://www.lespressesdureel.com/EN/ouvrage.php?id=3113&menu=

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