Le mythe des avant-gardes est quelque part légitime d'une histoire des ruptures, une histoire considérant chaque artiste moderne ou chaque école à la manière d'une cassure dans la grande temporalité. Une autre histoire serait à faire, une histoire de la continuité et des permanences. On verrait alors que sous des manières toujours actualisées, l'art implique de lointaines obsessions, porte d'antiques et insolvables questions. Peu nombreuses en vérité ; étrangères à toute idée de surenchère ou de progrès. Que sous les différences apparentes courent souvent des obstinations et des constances tout à fait dégagées des obligations de l'art, si l'on peut dire. Dans cette histoire, il est probable qu'on y observe la présence continue des objets et le petit jeu des manipulations auxquelles ils sont sujets. Depuis les pierres dans le contour desquelles les premiers hommes décèlent quelque anthropomorphisme jusqu'au matériel courants du siècle industriel, c'est à chaque fois ouvrir des mondes à les associer ou les déplacer. C'est que l'objet est, déjà à l'échelle des enfants, ce par quoi aborder le monde et exercer ses pouvoirs. Pour tout dire : l'objet c'est le monde sous les doigts. On ne s'étonnera pas alors que, sacrifiant à la définition du génie baudelairien, les artistes s'aventurent plus ou moins distraitement du côté de cette " enfance retrouvée à volonté " qui invite à considérer chaque objet du monde comme le lieu de détournements possibles, le lieu ordinaire de l'humour, de la poésie et de l'aventure.
Jérémy LIRON, 2010