Michaële-Andréa SCHATT
Shadow of Blue
Le bleu c’est l’obscurité qui devient visible, disait Derek Jarman.
Et l’ombre, selon Augustin, est la reine des couleurs.
Blue est le titre du dernier long métrage de Derek Jarman, un testament filmique uniformément bleu.
Shadow of Blue est le titre de l’exposition de Michaële-Andréa Schatt.
Une couleur en guise de fil conducteur entre les peintures, dessins et céramiques de l’artiste française et l’oeuvre ultime du réalisateur britannique, qui à la fin de sa vie ne décelait plus que ce ton saturé, primaire et froid. Définitivement associé au ciel et à la mer et par conséquent à l’infini, le bleu n’a pas de dimensions, il va bien au-delà de la vision.
Par exemple, du dehors vers le dedans, en suivant un rituel que Michaële-Andréa Schatt qualifie de retournement de l’image peinte. Car « il y a les stratégiques et les stratifiés », a-t-elle coutume de déclarer. Et assurément, elle se situe du côté des seconds, mêlant des fragments empruntés au passé comme au présent suivant un protocole immuable : elle dessine des paysages d’après nature avant de superposer à cette cartographie tracée à la plume et à l’encre de chine, des motifs peints sur calque à l’atelier. Au-dessus ou en dessous, de la réalité à sa transposition, de l’apparition vers la disparition. Cette fois, les sédiments de son travail mémoriel charrient des images extraits des films, des textes, des poèmes et bien sûr du jardin de Derek Jarman, reconnaissable aux cheminées de la centrale nucléaire qui jouxtait son cottage à Dungeness. Il faut prendre le temps de s’immerger entre la carte et le calque, dans les différentes couches de cette pensée puzzle, d’en analyser les passages successifs d’un état des choses réel vers un état des choses possible. « En fait, dès que vous songez à substituer quelque chose à l’image mentale, par exemple une image peinte, et dès que l’image perd par là-même son caractère occulte, elle ne semble plus transmettre la moindre vie à la phrase. Ce dont vous aviez besoin, c’était précisément du caractère occulte du processus mental ». Cet aphorisme qui résume la démarche de Michaële-Andrea Schatt est extrait d’un ouvrage du philosophe Ludwig Wittgenstein, Le Cahier Bleu.
Du bleu, toujours du bleu. Mais ce bleu ne serait rien sans le fond uniformément gris que Michaële-Andréa Schatt impose en arrière-plan, telle une peinture sous-jacente. Kandinsky trouvait « sans résonnance » cette grisaille héritée de la Renaissance (qui baigne aussi certaines séquences du film Caravaggio de Derek Jarman). Cependant, sous le pinceau de Michaële-Andréa Schatt, ce monochrome crépusculaire favorise l’émergence de paysages qui regorgent de détails ; certains évoquent les planches graphiques du test de Rorschach, d’autres des tapis tissés de motifs végétaux d’où affleure comme une chrysalide – et pour la première fois – une figure humaine, un buste de femme au corps absent.
Il fallait donc bien tout ce bleu et ce gris pour unifier peintures, dessins et céramiques conçues comme des lignes de fuite. Un assemblage disparate dans lequel chaque oeuvre compose et décompose, se continue, se conjugue avec d’autres. Et se faisant, charpente le monde de Michaële-Andréa Schatt.
Sabrina SILAMO, journaliste et critique d’art (février 2020).