La galerie sera exceptionnellement fermée du 26 septembre à partir de 16h30 au 2 octobre inclus
Il est absolument impossible d'obtenir d'un enfant qui entre dans ce désir de poésie, d'art, qu'il se soumette déjà. C'est une activité qui apprend l'insoumission, vraiment.
Pierre Guyotat - Explications*
Claire Tabouret travaille à partir de photographies, aussi bien des archives personnelles que des clichés anonymes récoltés au fil de ses recherches. Elle s’empare de figures figées dans un espace-temps indéfinissable, pour avancer une nouvelle lecture de leurs présences et de leurs apparences. Tels des revenants, les enfants semblent surgir de mémoires et d’histoires enfouies que l’artiste réactive et réécrit. Elle leur construit une nouvelle réalité : complexe, perturbante, hypnotique. Isolés ou présentés en groupe, ils ont littéralement colonisé son univers pictural. Entre présences et absences, les personnages sont extraits de leurs environnements, de leurs contextes et de leurs repères. Ils sont ainsi propulsés au cœur de l’espace pictural : énigmatique, sombre et embarrassant.
L’artiste explore l’idée de passages grâce à l’élaboration d’un royaume fragile, tenu en équilibre par une subtile combinaison de paradoxes : passé-présent, réalité-fiction, clairvoyance-cécité, lumière-obscurité. À l’intérieur, des enfants posent et rôdent. Les yeux bandés, ils jouent à Colin-maillard, essoufflés, penchés en avant, un malaise est installé. Certains semblent perdus. À tâtons ils avancent dans l’obscurité, les petites mains s’agrippent à la matière. Perdus dans la peinture, dans un espace-temps infini, les créatures nous fascinent. Jeu ou terreur ? La vision obstruée, le chasseur nous apparaît être la proie d’un jeu dont il ne maîtrise pas les codes. Lorsqu’ils sont présentés en groupe, les enfants sont bien rangés et déguisés. Au creux d’une ambiance de fin d’année scolaire, une autre période de passage, les figures costumées posent dans une salle de classe baignée d’une lumière aveuglante. Les regards sont froids, lucides, quasi désincarnés. Les costumes sont communément associés à l’idée de fête, ils représentent une occasion d’incarner une nouvelle apparence, un nouveau rôle et de devenir « autre » ; puisqu’ils sont aussi synonymes de mascarade, ils matérialisent une réflexion portée sur l’identité et la construction personnelle.
En engageant un jeu de masques, l’artiste cultive l’ambiguïté du genre afin d’abolir les évidences, les stéréotypes et la conformation. Ses personnages, des princes, des sorcières, des lapins, des cerfs, des fantômes, se cherchent et nous cherchent du regard. Pour cerner ses figures, l’artiste a retenu le mot prosôpon, un terme à consonance enfantine provenant du Grec ancien qui désigne à la fois le visage et le masque, mais aussi la présence, l’apparence ou la venue d’une personne. Dans cet espace-lisière, les présences nous observent gravement et silencieusement jusqu’à nous déstabiliser. Ils sont comme enfermés dans la peinture qui peut alors être comprise comme un abri duquel ils nous dévisagent à leur tour. En accentuant l’intensité des regards intérieurs, Claire Tabouret nous fait entrer dans la matière même de scènes capturées et reformulées. Au fil des toiles, elle déploie un univers chargé d’histoires, de souvenirs et de possibles projections.
Julie Crenn
* Entretiens avec Marianne Alphant, 2000 (Léo Scheer, Paris)